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Edith Stein, philosophe, féministe et carmélite


En ce jour du 8 mars, Journée Internationale du droit des femmes, on oublie souvent cette femme extraordinaire que fut Edith Stein au parcours étonnant, née juive, puis athée devenue philosophe, et première femme allemande à avoir obtenue un doctorat en philosophie, qui se convertira à la foi catholique jusqu’à entrer au carmel avant d’être assassinée à Auschwitz par les Nazis.


Édith naît à Breslau en Prusse le 12 octobre 1891 dans une famille juive pratiquante. Elle sera la dernière de onze frères et sœurs. Elle perdra son père, mort d’une insolation à trois ans. Sa mère devra donc tenir les rennes de l’entreprise familiale C’est peut-être à ce moment-là qu’elle se rendra compte de la difficulté d’être femme cheffe d’entreprise dans un monde régi à l’époque par les hommes.

Admise au lycée, elle sera une des premières élèves de Prusse à entrer au lycée en 1906. C’est là qu’elle découvre la philosophie de Kant et de Schiller.

Elle s’engage alors en politique dans l’Association prussienne "Pour le Vote des Femmes" de manière radicale car elle soutient l’égalité des droits, extrêmement précurseur à son époque.

Elle passe son bac en 1911 avec succès et décide de poursuivre des études universitaires en Philosophie. Elle décide aussi d’étudier de nombreuses matières : les langues indo-européennes, l’allemand ancien, l’histoire du drame allemand, l’histoire de la Prusse et de Frédéric le Grand, l’histoire de la constitution anglaise, la philosophie de la nature, l’introduction à la psychologie, l’initiation au grec ancien rien que ça. C’est au cours d’études notamment avec Husserl qu’elle choisit d’être athée.

Ensuite elle étudie à Göttingen la phénoménologie avec Edmund Husserl tout en continuant ses études, elle donne des cours d’orthographe avec l’association Humbold d’éducation populaire et organise des débats dans une association de femmes pour l’égalité des sexes.

Elle suit ensuite les cours de Léonard Nelson et de Max Nelson, puis est acceptée dans la société de philosophie de Göttingen. Édith Stein passe ensuite son examen d’Etat.

La guerre déclarée, elle retourne à Breslau pour suivre des cours d’infirmières. Elle est nommée dans un hôpital militaire en Autriche où elle sert en bloc opératoire et au service des maladies infectieuses. Elle souffre beaucoup de la mort de jeunes hommes. Elle est décorée pour son dévouement et rentre ensuite chez elle.

Elle reprend ses études avec ses amis dont Adolf Reinach qui se convertit au protestantisme. Dans le cercle des philosophes elle rencontre beaucoup de chrétiens. Elle poursuit sa thèse tout en étant professeur remplaçant à Breslau. Elle rejoint Husserl à Freiburg im Breisgau et obtient sa thèse de philosophie.

Amoureuse de Roman Ingarden, elle poursuit son travail avec Husserl et apprend la sténographie pour noter les paroles de Husserl.

Puis elle fait une synthèse des notes de Husserl « Introduction à la philosophie ». Cependant Husserl s’oppose à l’habilitation d’Edith Stein qui ne pourra pas obtenir de chaire de philosophie.

Édith Stein commence à évoluer vers la chrétienté après avoir lu les notes de Reinach mort au front en 1917. Elle écrit aussi « Leçon pour une phénoménologie à l’échelle du temps » publié par Heidegger.

Après la chute du Kaiser elle s’engage en politique au DDP (Parti Démocrate Allemand) qui défend les droits des femmes et lutte contre l’antisémitisme.

Déçue par la politique, elle devient pragmatique et préfère travailler sur l’idée européenne, la lutte contre les nationalismes et la philosophie.

Bien que devenue docteure en philosophie, elle n’obtient aucune chaire en Allemagne. Elle décide alors de créer sa propre école qui comprendra une trentaine d’élèves.

Elle écrit par ailleurs plusieurs études qui s’opposent au marxisme et au national-socialisme. Elle écrit notamment un ouvrage à l’attention des femmes afin expliquer le combat de l’obtention de plus de droits pour les femmes.


Suite à sa thèse sur l’empathie et la conversion de ses amis, elle étudie Ignace de Loyola, Kierkegaard et Saint Augustin, ce qui la pousse à une retraite spirituelle de trente jours. Lors d’une visite de la cathédrale de Francfort sur le Main, elle rencontre une femme faisant une courte prière en revenant du marché et repartir. C’est là qu’elle rencontre la foi catholique. « C’était pour moi, dit-elle, quelque chose de tout à fait nouveau. Dans les synagogues et les temples que je connaissais, quand on s’y rendait c’était pour l’office. Ici, au beau milieu des affaires du quotidien, quelqu’un pénétrait dans une église comme pour un échange confidentiel. Cela, je n’ai jamais pu l’oublier ».

Puis la mort de son ami Reinach au front la touche profondément et elle voit sa veuve de tourner vers Dieu et accepter sa croix : la mort de son mari. « La cause décisive de ma conversion au christianisme fut la manière dont mon amie accomplit par la force du mystère de la Croix le sacrifice qui lui était imposé par la mort de son mari ». « Ce fut ma première rencontre avec la Croix et avec le pouvoir divin qu’elle communique à ceux qui la portent. Pour la première fois, j’ai pu voir concrètement devant moi, le corps de l’Église, née de la Passion rédemptrice du Christ, victorieuse de la couronne d’épines et de la mort. À ce moment-là, le Christ a rayonné en moi, dans le mystère de la Croix, balayant mon incroyance et effaçant mon judaïsme».

En 1921 elle découvre chez des amis « Le livre de la vie » de sainte Thérèse d’Avila . « Lorsque je refermais ce livre, je me dis : “Ceci est la vérité”. » C’est là qu’elle décide d’être carmélite.

Elle reçoit le baptême le 1 er janvier 1922, reçoit la communion et la confirmation le lendemain.

Elle veut rentrer au Carmel mais le vicaire général de Spire préfère qu’elle enseigne l’allemand et l’histoire dans une école normale de bénédictines.

Elle entreprend également de traduire en allemand l’œuvre de saint John Henry Newman. Elle traduit également l’œuvre de saint Thomas d’Aquin du latin en allemand. Huit années de travail. « Il m’est apparu à la lecture de Saint Thomas qu’il était possible de mettre la connaissance au service de Dieu et c’est alors, mais alors seulement, que j’ai pu me résoudre à reprendre sérieusement mes travaux. Il m’a semblé en effet que plus une personne est attirée par Dieu, plus elle doit sortir d’elle-même pour aller vers le monde en y portant l’amour divin ».


Elle suit des conférences partout en Allemagne jusqu’en 1932, encouragées par Heidegger et Honecker. Elle donne des conférences sur l’enseignement sans la force, défend le dialogue entre catholiques et protestants, sur l’éthique des métiers féminins qui aura beaucoup de succès, «aucune femme n’est seulement femme, chacune présente des traits individuels et des dispositions propres, tout comme l’homme, par l’aptitude à exercer telle ou telle profession dans un domaine artistique, scientifique ou technique » et elle tient également des conférences sur l’éducation sexuelle .

Elle poursuit ensuite des conférences sur Heidegger, Husserl et la pensée thomiste. « Je dirai que chez Husserl, la phénoménologie est une philosophie des essences, chez Heidegger, une philosophie de l’existence. Le Moi du philosophe d’où l’on part pour atteindre au sens de l’être est pour Husserl le Moi pur, pour Heidegger, la personne in concreto ».

En 1933 Hitler et les nazis prennent le pouvoir. Très vite il est interdit aux femmes et aux juifs d’enseigner. Étant considérée comme catholique, l’Association des Enseignantes catholiques continue de lui verser une bourse. Sans activité, elle en profite pour écrire au Pape Pie XI pour l’alerter de ce qui se passe en Allemagne. Même si celui-ci meurt en 1939, on soupçonne que l’encyclique Mit brennender Sorge a été inspirée par Édith Stein.

Elle demande alors à rentrer au Carmel n’ayant plus la possibilité d’exercer son métier et voulant suivre les pas de sainte Thérèse d’Avila . Elle entre au carmel de Cologne en 1934 et reçoit le nom de Thérèse Bénédicte de la Croix. Le carmel l’encourage à continuer à travailler sur ses œuvres philosophiques, et en 1934, elle prononce ses vœux temporaires. Elle travaillera jusqu’en 1939 à son œuvre majeure « L’être fini et l’être éternel ».

En 1938 elle prononce ses vœux définitifs et suite à la menace nazie elle part au carmel d’Echt aux Pays-Bas où viendra la rejoindre sa sœur Rose. Mais elle de plus en plus inquiète pour sa famille et s’offre en sacrifice « au Sacré-Cœur de Jésus pour la paix véritable ».

L’occupation des Pays-Bas par l’Allemagne met en danger la carmélite. Cependant elle se met à l’étude de la théologie de saint Jean de la Croix et écrit Scienta crucis.

En juillet 1942 en protestation de la persécution des juifs, les évêques néerlandais font lire une homélie qui provoque la fureur de l’occupant.

Les nazis décident alors d’arrêter les juifs de confession catholique. Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix est arrêtée le 2 août 1942 par les nazis avec sa sœur Rose.

Elle est internée dans plusieurs camps de transit où elle organise des réunions de prière et s’occupe des malades et des enfants. « Sœur Bénédicte allait au-devant des femmes pour leur apporter aide, consolation et réconfort, comme un ange, s’occupant de la toilette, de l’alimentation et des soins de petits enfants […] abandonnés depuis des jours. Elle donnait le témoignage d’un amour immense qui a frappé d’étonnement tout le monde».

À l’aube du 7 août, elle est envoyée à Auschwitz avec sa sœur Rose et sera assassinée deux jours plus tard dans la chambre à gaz.

Avec Édith Stein, les nazis ont assassiné une personne extraordinaire, à la fois féministe, philosophe reconnue, une écrivaine hors pair, une enseignante universitaire, une traductrice exceptionnelle (allemand, anglais, français et polonais), une infirmière, une grande européenne, une théologienne et une grande carmélite respectée par ses sœurs.

Édith Stein est béatifiée par Jean-Paul II, le 1er mai 1987, à Cologne, pour l’héroïsme de sa vie et sa mort en martyre, assassinée « ex odio fidei » (en haine de sa foi catholique).

Elle est par la suite canonisée par le pape Jean-Paul II le 11 octobre 1998 et proclamée copatronne de l’Europe le 1er octobre 1999.

Le 11 octobre 2006, le pape Benoît XVI bénit une grande statue de sœur Thérèse Bénédicte de la Croix placée dans la partie extérieure de l’abside de la basilique Saint-Pierre du Vatican dans une niche entre les patrons de l’Europe.

Régis Baschung

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