Affaire Stocamine : nappe phréatique d'Alsace en péril, énième désaveu pour l'État central
13 janv. 20234 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 févr. 2023
Ce jeudi 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de l'État, représenté par le préfet du Haut-Rhin, de reprendre les travaux d'enfouissement définitifs des 42000t de déchets hautement toxique de Stocamine, dans une ancienne mine de potasse de Wittelsheim, à 10 km à vol d'oiseau du centre-ville de Mulhouse.
Point et perspectives sur un scandale sanitaire, écologique et démocratique en gestation que certains aimeraient bien enterrer.
Stocamine, c'est quoi?
Pour nombre de Mulhousiens et habitants du Sud-Alsace, Stocamine n'évoque rien, pour d'autres au contraire ce nom suscite honte ou révolte depuis le début des années 1990 et le commencement des ennuis.
Face au déclin des activités minières dans le bassin potassique, l'État voulut y implanter le premier centre de stockage souterrain de déchets chimiques du pays, destiné à accueillir des produits que la France ne sait pas retraiter.
Ce projet baptisé Stocamine enchanta certains mineurs soucieux de leur avenir professionnel mais suscita la crainte des militants écologistes locaux et de certains habitants.
Après la promesse de l'État de faire remonter les déchets (principe dit de "réversibilité") après 30 ans d'entreposage dans les galeries minières des puits Joseph et Else de Wittelsheim,
l'activité du site démarra en 1999.
Des milliers de tonnes de déchets contenus dans des futs métalliques et des "big-bags" en plastique descendirent dans les galeries à 600m de profondeur.
A terme, le site souterrain situé à proximité immédiate de la nappe phréatique devait accueillir 500 000t d'ordures chimiques en provenance de toute la France, mais seules 44 000t arrivèrent effectivement.
La sécurité des galeries de stockage était garantie par les experts mais le 10 septembre 2002, un impensable accident survint.
Un incendie se déclara dans le bloc 15 du site de stockage et il fallut deux mois pour l'éteindre, seule une petite partie des déchets brûla, les autres restant intacts.
2002-2017, l'immobilisme et le tabou
Depuis, un conflit ouvert existe entre l'État et les mines de potasses d'Alsace (MDPA)face à des militants écologistes soutenus par des habitants et élus locaux.
Face à l'État qui revenant sur sa promesse de réversibilité, souhaite désormais enfouir définitivement les déchets qu'il s'était engagé à faire remonter, arguant des coûts financiers d'une telle opération de dépollution et du manque de sécurité des galeries censées au départ du projet Stocamine, être parfaites pour accueillir les déchets, les opposants à ce confinement chimique déploient divers arguments.
Écologistes, habitants, et élus locaux soulèvent une menace de pollution de la plus grande réserve d'eau potable souterraine d'Europe alimentant tout le fossé rhénan, dans un contexte de raréfaction d'un or bleu nécessaire à toute vie du fait des sécheresses et du changement climatique.
Stocamine est ainsi un enjeu transfrontalier où la Suisse et l'Allemagne sont concernés.
La réserve naturelle régionale du "Rothmoss" abritant une faune et une flore très variées se situe de plus à proximité immédiate du site.
Les inquiétudes portent sur le fait qu'avec le temps, les anciennes galeries minières se referment sur les déchets tandis que l'eau de la nappe phréatique s'y infiltre progressivement, faisant craindre sa plus ou moins grande pollution en cas de non-retrait rapide des déchets.
Or cette fermeture naturelle des galeries, non détectée par les experts au départ du projet, risque à moyen terme de rendre impossible toute opération de dépollution complète du site ou de comblement de ce dernier dans du béton, seule solution raisonnable selon l'État et ses services alors même que le risque sismique est non-négligeable en Alsace.
Ainsi de 2002 à 2017, l'affaire traîna sous le tapis, l'État jouant alors la montre et laissant les galeries se refermer et devenir dangereuses avec le dessein de finalement arguer de la sécurité pour revenir sur sa promesse de réversibilité, au nom de la défense légitime de la sécurité des mineurs, alors même que des robots peuvent être employés pour sortir des déchets devant à terme gagner l'Allemagne où selon les écologistes un réel savoir-faire existe en vue de les retraiter.
Entre 2014 et 2017, une partie des déchets (2250t) fut néanmoins extraite sous l'impulsion de Ségolène Royal, ministre socialiste de l'écologie de François Hollande tandis que le collectif "Destocamine" milite pour l'extraction de la totalité des produits.
Sur place, peu d'habitants se mobilisent, honteux d'avoir été trompés par les promesses d'emplois de l'État au commencement de Stocamine.
Les anciens mineurs sont divisés entre ceux qui défendent l'enfouissement des déchets et ceux qui ne veulent pas laisser "un héritage empoisonné" à leurs descendants.
2017-2023 : un rocambolesque feuilleton juridique et un État parisien désavoué
Au terme du chantier de destockage partiel, le préfet du Haut-Rhin, M.Touvet, représentant de l'État à l'échelle locale (comme les autres préfets placé sous l'autorité du gouvernement), prend le 23 mars 2017 un arrêté visant à permettre l'enfouissement des 42 000t de déchets encore sous terre à Stocamine.
Une intense bataille juridique (voir image ci-jointe) s'enclenche alors entre l'État et son préfet face aux associations écologistes locales dont Alsace Nature en tête soutenues par la nouvelle collectivité européenne d'Alsace (CEA) créée en 2021.
Afin de lancer l'enfouissement des déchets, les gouvernements macronistes et leurs ministres successifs de l'écologie (De Rugy, Pompili, Béchu) usèrent de nombreux leviers institutionnels dont un "cavalier budgétaire" pour financer l'enterrement définitif des déchets recalé en décembre 2021 par le Conseil constitutionnel.
En janvier 2022, un an après la volonté affichée par Mme Pompili d'enfouir les déchets, le nouveau préfet du Haut-Rhin, Louis Laugier, prit un nouvel arrêté pour faire débuter le chantier.
Suspendu dès mai 2022, ce dernier vient d'être cassé par le tribunal administratif de Strasbourg ce jeudi 12 janvier dernier, ce qui constitue une nouvelle victoire juridique des opposants à l'enfouissement.
Cependant, l'État peut faire appel de cette décision et ainsi continuer à laisser traîner l'affaire tandis que son préfet du Haut-Rhin prépare un autre arrêté (le troisième en tout) pour relancer les opérations d'enfouissement, arrêté dont la rédaction ne se fera qu'au terme d'une enquête publique devant prochainement se tenir dans l'agglomération mulhousienne et sur laquelle nous reviendrons dans nos futures éditions.
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